Francesca Marchesini

Billet de la présidente · L’Educateur · Mars 2021

Les syndicats et les partis de la gauche radicale sont régulièrement critiqués pour leur dogmatisme et leur incapacité à trouver des consensus. Or, pour que les partis gouvernementaux de gauche comme les Vert·es et les Socialistes puissent négocier des compromis au sein d’exécutifs et de législatifs majoritairement à droite, ils doivent pouvoir s’appuyer sur la résistance des mobilisations syndicales qui, en refusant de capituler, constituent le dernier rempart contre une politique de nouvelle gestion publique, capitaliste néolibérale, productiviste, anti-écologique et sexiste, qui « rationnalise» au sein des services publics dans une vision où les fonctionnaires ne sont rien de plus qu’un poids dans le budget de l’État.

Fin 2020, à Genève, ces mêmes partis gouvernementaux de gauche ont franchi une nouvelle étape en concluant un accord gouvernemental qui crée un grave précédent, même s’il ne fait que s’inscrire dans la continuité d’une vision du dialogue social tronquée où l’employeur et les employé·es négocieraient sur un pied
d’égalité.

Des mots vidés de leur sens

Depuis l’avènement des politiques néolibérales, les acquis sociaux, politiques et syndicaux obtenus par des décennies de luttes et de soulèvements, subissent des attaques de plus en plus fréquentes et régulières. Et, pour peu qu’il l’ait jamais été, le partenariat social ne constitue plus un rempart et se réduit désormais à une façade d’apparat, composée de consultations alibi et de discussions vides s’appuyant sur des concepts désormais creux. Ces dernières années, Genève est ainsi devenu une scène ouverte où, en décembre, au moment de voter le budget, la même pièce se joue inlassablement. Les répétitions de ce spectacle commencent dès la rentrée où par effet d’annonce, le Conseil d’État présente les mesures d’économie les plus extravagantes. Les syndicats se mobilisent et le Conseil d’État fait mine de céder du terrain. Toutefois, chaque année, les limites sont repoussées et l’inacceptable finit par paraitre acceptable. Les droits sociaux reculent. La précarité devient norme. Le tour de force consiste à présenter comme des enfants gâté·es les militant·es qui dénoncent la détérioration des prestations publiques, dans une normalité récente, construite, pourtant imposée progressivement comme un héritage historique, perçu aujourd’hui comme une fatalité. Toute l’habileté du discours dominant constitue justement à présenter comme novatrices ses normes conservatrices et à détourner l’attention des privilèges qu’elle s’octroie et conserve précieusement en faisant passer pour privilégié·es celleux qu’elle exploite sans vergogne.

Cette comédie mobilise beaucoup de temps et d’énergie. L’intensification du nombre de dossiers à traiter, de leur complexification et du rythme de travail imposé, dans un état d’urgence perpétuel mais artificiel, cantonne les syndicats à leur seul rôle d’opposition tout en les accusant d’être incapables de négocier.

2020, un tournant majeur dans le dialogue social?

Grâce à la large mobilisation de la fonction publique cet automne défiant le contexte sanitaire, le Conseil d’État a retiré la mesure d’économie la moins contestée, à dessein, pour exclure des discussions le Cartel Intersyndical – dont la SPG est membre – en signant un accord avec les partis gouvernementaux. Que la droite n’ait pas vu d’objection à écarter le Cartel des discussions fait partie du jeu, mais que certains partis de gauche aient cautionné cette méthode relève d’une dérive désormais actée qui doit être impérativement dénoncée.

Droit de grève remis en cause

En ce qui concerne la grève, le Conseil d’État n’essaie même plus d’enrober sa politique de droite décomplexée. En effet, un glissement subtil dans le discours s’est opéré entre les grèves de 2015 et 2020. En 2015, il était clairement communiqué dans les écoles qu’aucune prestation d’enseignement ne pouvait être délivrée pendant les jours de grève, même par les enseignant·es non grévistes. L’arrêté du Conseil d’État est explicite: en cas de grève, le DIP doit délivrer une prestation d’accueil minimum.

Si des enseignant·es enseignent pendant que d’autres font grève, il en découle une inégalité de traitement qui va à l’encontre même des principes de la Loi sur l’Instruction Publique. Les parents des élèves peuvent d’ailleurs soutenir la grève, et ce, indépendamment du choix de l’enseignant·e. L’automne dernier, la SPG a constaté que certaines directions d’établissement ont soumis leurs équipes à de fortes pressions en imposant notamment des contraintes organisationnelles et temporelles. Elle a interpelé le Conseil d’État pour qu’il fasse appliquer la procédure de grève, mais ce dernier – tout en indiquant respecter absolument le droit de grève du personnel enseignant – n’a rien entrepris pour clarifier la procédure et recadrer les directions qui ont entravé de facto le droit de grève de leurs collaborateurices. En refusant d’intervenir, il a encouragé ces directions et s’est lui-même rendu responsable de contourner un droit pourtant constitutionnel.

Remise en cause de la représentativité de la SPG

Un autre exemple illustrant ce glissement dans le rapport social est la remise en cause régulière de la représentativité de la SPG. En effet, notamment dans le cadre de sa réforme EP21, le département a souhaité passer outre le partenariat social en consultant tou·tes les enseignant·es et ce malgré la position ferme de notre Assemblée générale extraordinaire. Le DIP a souhaité distinguer les enseignant·es des syndicats alors même que la SPG représente les enseignant·es et qu’elle est la seule partenaire institutionnelle reconnue du DIP et de la DGEO. Avec ce sondage, le département contourne son partenaire social et refuse ainsi le dialogue.

Il est urgent que les syndicats reprennent la place qui leur est historiquement assignée dans ce dialogue social et puissent se départir du mauvais rôle assigné par les instances politiques. Toujours plus audacieuses dans leurs propositions, ces dernières créent de toutes pièces des situations vouées à l’impasse communicationnelle, condamnant les syndicats à ne plus se battre que pour la préservation de conditions de travail sans cesse attaquées et malmenées. La pandémie actuelle devrait nous alarmer sur cette détérioration croissante des services publics, menée par des politiques de management et de profit. Certains secteurs, en effet, ne peuvent et ne devraient pas être soumis aux lois du marché, ce qui justifie qu’on se batte pour les défendre.

Ce tournant oppositionnel n’est pas ce que nous souhaitons, mais nous y sommes contraint·es par les politiques budgétaires qui détériorent toujours plus la qualité des prestations fournies et les conditions de travail, tout en méprisant les syndicats dans leur représentativité. Il nous tarde désormais que la DGEO et le DIP accordent leur discours de façade avec leurs actes en réhabilitant la SPG dans son rôle de partenaire social, et en accordant crédit à ses analyses professionnelles. •

Francesca Marchesini, présidente de la SPG


Ce billet est paru dans le journal L’Educateur · Mars 2021