Cinquième et dernière partie
Pour égayer la fin de l’été, je poursuis et conclus enfin l’analyse du rapport commandé par la DGEO, encore sous la législature d’Anne Emery Torracinta, pour faire face aux difficultés de gouvernance des établissements du primaire. Dans le billet du mois de juin, j’ai présenté le très grave impensé de l’analyse, à savoir, rien de moins que l’école inclusive et les recommandations du rapport à l’égard de l’évolution de la fonction de coordinateurs et coordinatrices pédagogiques (CP).
Gouverner sans questionner
En somme, les entrées de ce rapport questionnent tant au niveau des comparaisons cantonales retenues, sans qu’elles ne soient jamais clairement objectivées ou explicitées, que sur le focus global. Par rapport à la gouvernance des établissements, aucune vision intra Genève n’est présentée. Il existe pourtant une forte disparité dans les pratiques des DIR-E qui ne sont jamais interrogées et qui entrainent une grande variabilité dans la gestion même des établissements. Malgré cette forte diversité, le rapport tient pour acquis que les directions d’établissement effectuent en moyenne 200 heures supplémentaires par année, sans jamais préciser à quoi serait due cette surcharge de travail. Comment proposer l’introduction d’un nouveau cahier des charges sans présenter la nature même du travail qui doit être effectué ? Comment peut-on rédiger un rapport sur la gouvernance des établissements sans jamais questionner l’organisation de travail des directions ?
Quels sont les besoins de l’école ?
Au même titre que les pratiques des directions, leur formation n’est jamais questionnée, elle est au contraire encensée puisque le rapport affirme que l’organisation et le fonctionnement actuels des directions d’établissements primaires formées par la FORDIF, dont M. Huguenin est l’un des membres fondateurs, aurait « indéniablement profité au système scolaire cantonal ». En tenant pour acquis que la FORDIF a formé des cadres compétents, le rapport considère de facto que les difficultés liées à la gouvernance des établissements ne se situe pas au niveau des directions. Ainsi, il ne remet en question ni le fonctionnement actuel, ni la formation et ce, sans présenter la moindre analyse de la situation ou démontrer d’une quelconque manière en quoi l’introduction des DIR-E aurait profité à l’école genevoise. Par ailleurs, comme l’indique clairement le rapport lui-même, le seul élément concret sur lequel il appuie la variante maximale de l’axe « réinvestissement », qui prévoit une augmentation globale de la dotation EPT de 19,78 %, est la comparaison intercantonale et non la charge de travail ou les besoins effectifs des écoles genevoises : « sans que cela ait constitué un but avéré pour les mandataires, il s’avère que ce renforcement s’inscrit dans l’écart de dotation moyen de 21,66 % identifié entre le canton de Genève et ceux de Bâle-Ville et Vaud. »
Chassez le doyen, il revient au galop !
Enfin, le rapport prétend « ne pas viser une analogie des catégories professionnelles et des modes de gestion entre les établissements primaires et les cycles d’orientation, mais prendre toujours en compte et compenser concrètement la complexité supplémentaire qu’occasionne l’organisation multisite ». Pourtant, les diverses propositions d’amélioration présentées ne tiennent compte ni des spécificités genevoises, ni des spécificités de l’école primaire. En effet, sur le plan budgétaire, il se contente de baser sa proposition d’augmentation de dotation sans la documenter en la calquant simplement sur le modèle vaudois et sur le plan organisationnel, il se contente de transposer le système du CO au primaire en introduisant une fonction complètement déconnectée de la réalité du primaire et qui ressemble singulièrement à celle des doyen·nes.
Des directions naviguant à vue
S’il est effectivement nécessaire de renforcer les directions, ainsi que la dotation et l’autonomie des établissements, il parait insensé de penser obtenir ce résultat en ajoutant une nouvelle fonction hiérarchique. C’est là qu’apparait le plus fortement le défaut d’analyse du rapport qui n’a jamais défini le profil des directions d’établissement, leur charge de travail effective et la surcharge dont elles font état sans la démontrer. Il est donc difficile de savoir en quoi ces directions doivent être renforcées et comment. En revanche, l’ajout de strates hiérarchiques tend non seulement à déresponsabiliser les acteurs et les actrices, mais n’a jamais réduit la charge de travail. Le fait que le rapport propose de former les MA à la FORDIF suffit à disqualifier le peu d’analyses qu’il produit, le parti pris étant trop évident. Ce rapport ne traite en aucune manière des difficultés réelles du terrain. Il n’est pas question ici d’école, mais uniquement de management par des enseignant·es formé·es par l’un de ses auteurs. Il est regrettable que le DIP n’ait pas encore saisi ce que la littérature scientifique commence à démontrer, à savoir que le personnel inclusif, dans une école que l’on souhaite inclusive, aussi étonnant que cela puisse paraitre, ne peut être que l’enseignant·e. Aujourd’hui, à l’école genevoise, la pluriprofessionnalité, dont le rapport ne fait même pas état, constitue le quotidien. Malheureusement, les équipes pluri-professionnelles renforcent le sentiment que certaines situations ne relèvent pas de la responsabilité des titulaires. Or, s’il n’est pas inintéressant de confronter les regards et de bénéficier de l’apport de différentes fonctions dans les écoles, les recherches démontrent que l’expertise de l’inclusion doit être portée par l’enseignant·e. S’il n’est pas toujours aisé de porter sa part de responsabilité, elle contribue grandement à la professionnalisation et à la construction du sens.
Une école sans élèves et sans enseignant·es
Ainsi, la DGEO parvient à travers ce rapport à penser une école sans élèves et sans enseignant·es en se focalisant essentiellement sur leur mode de gouvernance, s’attelant à détruire le peu d’horizontalité qui en garantit la professionnalisation de ses principaux acteurices, à savoir, ne lui en déplaise, les enseignant·es. S’il n’est pas question de nier le manque de ressources PAT (personnel administratif et technique) allouées aux établissements primaires (secrétariat, infirmière scolaire, éducateur·trices) que la SPG déplore uniment, seule une posture particulièrement biaisée, totalement déconnectée de la réalité des classes, peut imaginer répondre à ces difficultés en agrandissant sans cesse les établissements et en ajoutant un nouvel échelon hiérarchique. Faut-il rappeler que l’introduction des directions d’établissement devait diminuer la charge administrative ? Personne n’oserait prétendre aujourd’hui que ce vœu pieux a été réalisé, pourtant la DGEO prétend aujourd’hui répondre aux difficultés de l’école primaire en reproduisant un schéma qui s’est révélé inopérant. Il était parfaitement improbable, mais malheureusement si peu étonnant, que la solution proposée stabilise la situation actuelle en renforçant ce qui justement la rend dysfonctionnelle. La problématique est particulièrement exacerbée à Genève, ce petit canton où tous les acteurs sont juges et parties et où tout est centralisé à la DGEO qui tend à penser à la place des enseignant·es et ce, à un niveau de plus en plus micro. Il n’est pas étonnant dans ce contexte que les professionnel·les soient complètement exclu·es de toute réflexion autour de leur pratique. Il n’y a probablement que le DIP qui, pour répondre aux difficultés rencontrées actuellement dans les classes par les enseignant·es, pense à renforcer les modes de gouvernances avant d’outiller davantage les enseignant·es. Quel mépris faut-il avoir pour le corps enseignant et surtout à quel point faut-il être déconnecté de ses besoins et ses pratiques ? Quelle foi accorder aux conclusions complètement télécommandées dudit rapport, auxquelles ont été consacrés tant de temps et d’énergie, avant d’aborder les vraies problématiques rencontrées par les vrai·es enseignant·es dans les vraies classes, face aux difficultés et aux souffrances de vrai·es élèves. Si les conclusions du rapport n’apportent en réalité aucun élément nouveau, elles ne montrent qu’une fois de plus le dédain et le manque de considération des mandataires, à savoir la DGEO et le DIP, pour les enseignant·es de l’école primaire, qui continuent à affronter seul·es les situations auxquelles iels sont exposé·es au nom de prestations que le DIP prétend fournir sans se donner les moyens d’en obtenir les budgets.
Francesca Marchesini, présidente de la SPG
Cet automne, un groupe de travail se penchera sur l’évolution des cahiers des charges des MA. L’évolution de ses travaux sera présentée en Assemblée des Délégué·es.
Article paru dans l’Educateur, septembre 2024