L’école sans élèves et sans enseignant·es de la DGEO | Une analyse du rapport « Analyse et propositions d’optimisation de l’organisation du travail des directions d’établissements primaires »
L’école n’est pas en crise, mais… | partie 1
Première partie
Voilà plusieurs années que le corps enseignant cherche invariablement à aviser les autorités scolaires et plus globalement l’opinion publique des difficultés rencontrées à l’école primaire et dans l’enseignement spécialisé. Des alertes sont régulièrement émises notamment par les associations professionnelles représentatives du personnel, souvent ignorées quand elles ne sont pas dénigrées ou raillées, tant par la presse que par le gouvernement. L’école va mal, mais dans l’indifférence car tant bien que mal, elle continue à fonctionner.
Dans un système « méritocratique » qui justifie et légitime les inégalités sociales en s’appuyant sur la réussite scolaire, où les études tendent à se prolonger dans tous les domaines et qui uniformise les parcours individuels à travers notamment un diplomisme de plus en plus strict, l’école a rarement joué un rôle aussi prépondérant dans le classement et la sélection des individus, il est ainsi objectivement difficile de la considérer « en crise ». Il va sans dire qu’elle cristallise de nombreuses ambitions poursuivant des enjeux politiques et sociétaux parfois divergents selon qui les portent. Les tensions qui la structurent, incarnent ainsi parfois des objectifs inconciliables, telles que la lutte contre les inégalités sociales et la reproduction de ces mêmes inégalités. En effet le fait est, que depuis qu’elle est discursivement présentée comme contribuant à l’égalité des chances, elle ne parvient à peine moins qu’avant, à reproduire le système de domination qui régit nos démocraties occidentales, légitimant au contraire, à travers leur trajectoire scolaire, la domination des classes dominantes. Les parents quérulents et intrusifs qui semblent remettre en cause la légitimité des agent·es et parfois de l’institution ont parfaitement saisi les enjeux de la sélection scolaire et jouent simplement le rôle qu’iels pensent devoir jouer pour le bien de leur progéniture. Si l’école n’est pas en crise, la société, elle, traverse une crise que l’école se contente de refléter. L’école actuelle – résultat d’une politique néolibérale ayant imposé progressivement un nouveau cadre de gestion publique afin « d’améliorer le rapport coût/efficacité des service grâce à une modernisation accrue et un plus grand pragmatisme de gestion au sein des administrations publiques » – est vouée à sélectionner les élèves et à exclure les plus vulnérables du système.
MER, école inclusive et covid : des difficultés jamais objectivées, des ressources jamais accordées !
L’école obligatoire à 4 ans perçue comme une formalité au moment de la signature du concordat Harmos, semble pourtant avoir induit au niveau romand une augmentation de la violence des élèves notamment dans les premiers degrés. En parallèle, est observée ces dernières années une complexification des besoins des élèves et de la gestion de classe. Si cette nouvelle violence des élèves de 1P n’est pas imputable à l’école en elle-même puisque la plupart des élèves étaient de fait déjà scolarisé·es dès 4 ans, il faut chercher les réponses à cette problématique dans la mise en œuvre progressive du plan d’étude romand (PER) à travers notamment les moyens d’enseignement romand (MER) et ce, dès la 1P.
Par ailleurs, l’entrée en vigueur de la loi sur l’intégration des enfants et des jeunes à besoins éducatifs particuliers ou handicapés (LIJBEP) en 2010 et l’intégration des dispositions de la LIJBEP à la Loi sur l’instruction publique (LIP) en 2016 à Genève n’ont évidemment pas été accompagnés de l’introduction de ressources suffisantes et pensées pour mettre en œuvre cette nouvelle ambition qui a pourtant été confiée à l’école.
De plus, la pandémie a engendré d’immenses besoins peu reconnus ou actés par les autorités. Ainsi, si beaucoup de professionnel·les relèvent les difficultés des volées actuelles de 5P, étant celle des élèves ayant été confiné·es en 1P, aucune ressource supplémentaire n’a jamais été accordées pour répondre aux difficultés générées par l’inadéquation systématique des plans sanitaires aux besoins pédagogiques et sociaux tant des élèves que des enseignant·es. En effet, comme le dit Christophe Dejours, psychiatre et médecin du travail français, « travailler ce n’est pas seulement produire, c’est aussi vivre ensemble ». Si « ce qui permet de prévenir la violence, c’est fondamentalement la discussion, la parole, l’écoute et l’agir communicationnel », la violence en tant que « manifestation majeure de pathologie de la communication » a été largement favorisée par la gestion particulièrement désincarnée et déshumanisée de la crise dans les écoles primaires genevoises.
Un système inégalitaire assumé
De plus, si les résultats de la dernière enquête PISA ont par ailleurs permis à la Suisse de se targuer d’un niveau au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE en mathématiques et en sciences naturelles – qui peut s’expliquer par une fermeture moins longue des écoles que dans d’autres pays – elle ne peut en revanche se targuer d’un haut niveau d’équité économique. La Suisse s’avère effectivement être plus inégalitaire que la moyenne des pays de l’OCDE. En mathématiques, notamment, ont été mesurés plus de 100 points d’écart entre les élèves issu·es des milieux les moins favorisés et celles et ceux des milieux les plus favorisés. Un écart qui se creuse depuis 2015 qui doit être imputé à la politique néolibérale menée contre l’école dans la majorité des cantons suisses dont souffrent en premier lieu les élèves les plus fragiles scolairement, à savoir, à Genève, principalement les élèves issu·es de la migration. Alors même qu’elle se dote de lois et de règlements alléguant le contraire, paradoxalement, l’école semble ainsi devenir de moins en moins inclusive. Aussi, malgré les volontés affichées et les discours sur l’égalité des chances, l’origine socio-économique et le parcours migratoire demeurent des facteurs déterminants de la réussite scolaire. Il ne s’agit pas ici d’une position idéologique de « wokiste », mais de faits largement documentés par la littérature scientifique tant nationale qu’internationale. Par conséquent lorsque le grand Conseil nouvellement élu à Genève n’a pas hésité, lors des discussions autour du budget 24, à couper pour la première fois une trentaine de postes indexés à la démographie sous prétexte que « quelques élèves de plus par classe, ce n’est pas bien grave », il faut en conclure au mieux qu’il ne se soucie guère de ces populations mises à mal par l’école et exclues du système scolaire et au pire qu’il sait exactement pourquoi il le fait.
L’école n’est pas en crise, mais…
L’école n’est donc pas en crise, mais elle ne répond pas aux besoins auxquels elle prétend répondre. Dans les faits, elle ne l’a jamais fait, mais aujourd’hui elle est dite et souhaitée inclusive. L’école n’est pas en crise, mais ses ambitions la mettent en difficulté, puisque les budgets pour les réaliser ne sont pas alloués. L’école n’est pas en crise mais son vocabulaire a été dévoyé par une droite ayant accaparé le discours de la révolution. Pourtant, les discours de réforme de l’école se contentent généralement de cacher un conservatisme aigu. Il suffit de constater la bataille menée par le grand conseil contre le numérique à l’école ou l’écriture inclusive. En trente ans, l’école n’a que très peu changé et il est difficile de croire que les classes genevoises sont celles d’un des pays les plus riches du monde. Toutefois, si l’immobilisme du système scolaire est le fait des partis conservateurs qui nous gouvernent, le discours des autorités ne le dit pas. En effet, non seulement les discours nient cet immobilisme, mais ils le cachent sous d’innombrables réformes et réorganisations essentiellement discursives qui se bornent généralement à épuiser les enseignant·es et les élèves.
Je ne développerai pas ici des différents points évoqués dans cette partie puisqu’ils l’ont été globalement dans de précédents billets. Toutefois, dans ce contexte de crise non pas du système scolaire, mais sociale, où les enseignant·es se disent démuni·es par rapport aux besoins spécifiques des élèves, à la complexification de la gestion de classe, à l’augmentation de la charge de travail et des attentes légitimes des parents, la DGEO au lieu de se demander comment elle peut renforcer et soutenir les enseignant·es focalise son attention et ses ressources sur le pilotage des établissements. Elle a ainsi commandé un rapport, dont je présenterai les conclusions dans le billet suivant et cette introduction me permet principalement de souligner l’affligeant décalage entre le contexte actuel, les préoccupations du terrain et l’angle d’analyse dudit rapport.
Un rapport pas si neutre ? | partie 2
Deuxième partie
Comme indiqué dans le billet du mois de février, je vais présenter ici les conclusions du rapport commandé par la DGEO (Direction générale de l’enseignement obligatoire), encore sous la législature d’Anne Emery Torracinta, pour faire face aux difficultés de gouvernance des établissements du primaire. Elle a ainsi initié dans le cadre d’un groupe de travail qui s’est rencontré une dizaine de fois en 2022 – dont la « SPG ne devait absolument pas être informée » – une réflexion visant « à faire évoluer le modèle de fonctionnement des directions d’établissements primaires » qui porte « notamment sur l’organisation du travail entre les différentes fonctions composant les Conseils de direction de ces établissements ». À ce titre, un mandat a été confié à deux prestataires externes, à savoir Jean-Marc Huguenin et Olivier Maradan, pour produire une « Analyse et propositions d’optimisation de l’organisation du travail des directions d’établissements primaires » qui, comme tout mandat, aboutit aux conclusions commandées par le mandataire. En effet, selon le rapport, les DIR-E considèrent depuis des années « que la fonction de MA (n.d.l.r. : maitres assistants) devrait être réorientée vers une fonction hiérarchique correspondant à celle de doyen actuellement en vigueur dans les établissements du cycle d’orientation », or le rapport arrive de manière congrue à la conclusion que « le cahier des charges des MA devrait être revu en incluant comme missions de l’AdD (adjoint de direction) la gestion pédagogique à l’intérieur de son école et avec les intervenants externes, ainsi que le suivi des élèves et subsidiairement, selon les besoins au-delà du maitre de classe, certains contacts avec les parents ».
Un rapport pas si neutre ?
S’il n’est pas question de remettre en cause l’intégrité déontologique des rapporteurs, il semble néanmoins étonnant d’une part que ce mandat n’ait pas été confié au SRED (Service de la recherche en éducation) et d’autre part qu’il ait été confié à Huguenin qui est l’un des membres fondateurs de la FORDIF (Formation en Direction d’Institutions de formation), sachant que le rapport, pour « préparer la relève au niveau des directeurs », juge pertinent d’inscrire les AdD à la formation en question. Ainsi, je ne dresserai pas ici une liste exhaustive des nombreuses incohérences et contradictions que contient le rapport, mais je me contenterai de présenter quelques exemples qui soulignent le peu de rigueur scientifique et l’amateurisme avec lequel il semble avoir été rédigé.
Au préalable, il semble utile de préciser que le rapport pose comme « vision critique en surplomb » ( encore faut-il comprendre ce que cela signifie, mais soit ) que « fondamentalement, l’organisation et le fonctionnement actuels des directions d’établissements primaires n’est pas contesté et a indéniablement profité au système scolaire cantonal ». Venant de la part d’un acteur important de l’institution ayant formé toutes les directions d’établissement genevoises depuis l’introduction de cette fonction, ce postulat de départ étayé par aucune donnée scientifique pose question. Le rapport poursuit en indiquant que « les propositions des mandataires portent sur des ajustements, des améliorations, des renforcements, voire des pistes d’évolution à moyen terme, sur les plans conjoints des ressources investies et des charges distribuées ». Si cet énoncé limite indéniablement le champ de l’analyse, en indiquant qu’aucune réelle réflexion pédagogique sur le système scolaire actuel genevois ne sera menée ici, il fournit au moins des informations sur la commande des mandataires qui ne se limitait visiblement pas à une « analyse de l’organisation du travail des directions d’établissements primaires », mais également à celles de ses « propositions d’optimisation ».
Enseignant·e ou exécutant·e culinaire ?
Par ailleurs, si l’axiome sous-tendant l’analyse n’apparait que tardivement dans le rapport, soit à la page 34, il n’en est pas moins explicite et s’inscrit parfaitement dans la perception de la DGEO et du DIP plus globalement, d’enseignant·es perçu·es comme des exécutant·es se contentant d’appliquer les moyens d’enseignement (MER), comme des recettes de cuisine : Une récente méta-analyse internationale de Grissom et al. (2021) a démontré que l’impact des directions d’écoles sur les résultats des élèves était proche de celui de « l’effet-enseignant ». À la différence notable que les actions d’une direction produisent un effet sur l’ensemble des élèves de l’école, alors que celles d’un enseignant sont limitées aux élèves de sa classe. Grissom et al. (2021, p. 40) en concluent que, pour améliorer une école dans son ensemble, l’efficacité de la direction est plus importante que l’efficacité d’un enseignant pris individuellement. Si une collectivité publique devait souhaiter investir dans une seule personne de l’école, alors investir dans les membres de la direction serait probablement la manière la plus efficiente d’impacter la réussite des élèves. Dans ce cadre, le renforcement des dotations en équipe de direction des établissements primaires genevois vise en définitive à favoriser les apprentissages et la réussite des élèves.
Prioriser l’organisationnel au détriment du pédagogique
Ce constat s’inscrit dans une vision purement administrative de l’école dont il suffit d’optimiser la gestion, totalement dénuée de projet éducatif qui devrait pourtant se trouver au cœur de son fonctionnement et ce d’autant plus dans le cadre d’une école qui se veut et se dit inclusive. Dans la continuité du processus engagé en 2010 avec la fermeture du site de Pinchat, de déprofessionnalisation des enseignant·es, il n’est pas étonnant que le département ait si peu investi dans une « formation continue des enseignantes et enseignants réguliers qui, par le biais de collaborations avec d’autres expertes et experts, se construiraient en tant qu’enseignantes et enseignants inclusifs » ( Ebersold, Plaisance & Zander, 2016 ; Malet & Bian, 2020 ; Puig, 2015 ), et ce, alors même que le ou la titulaire de classe est de plus en plus identifié·e par la littérature scientifique comme la clé de voute d’un enseignement véritablement inclusif.
Le rapport considère également que « la gestion d’établissements multisites appelle des modèles de pilotage adaptés » et que « ces modèles reposent sur la responsabilisation et l’action de chaque partie prenante à l’interne ( équipe de direction, corps enseignant, personnel administratif et technique ), mais aussi sur le développement de leur capacité d’agir et leur implication ». À ce titre, il suggère donc de « libérer les potentialités des personnels » en proposant « une formation portant sur la mise en œuvre de ces conditions-cadres ( qui ) permettrait à chaque partie prenante d’agir et de prendre ses responsabilités, notamment dans les écoles « décentralisées » ». Ainsi, les enseignant·es ne prendraient pas suffisamment leurs responsabilités ou ne parviendraient pas suffisamment à « s’auto-saisir de responsabilités de management et de leadership lorsque la situation l’exige ». Si la SPG se réjouit qu’un besoin en formation ait été identifié, il semble néanmoins paradoxal, voire ironique, de vouloir à la fois responsabiliser le corps enseignant sur le plan strictement organisationnel, tout en préconisant de le déresponsabiliser davantage sur le plan pédagogique en ajoutant à l’organigramme scolaire un échelon hiérarchique supplémentaire via l’évolution de la fonction de MA vers une fonction d’adjoint de direction.
Vos heures sup ne comptent pas autant que celles des cadres
Afin de justifier son analyse du contexte scolaire genevois et ses conclusions, en guise d’introduction, le rapport affirme, sans le démontrer, que 60,61 % des directions d’établissement effectuent plus de 200 heures de travail supplémentaires par année contrairement aux secrétaires d’établissement (SEC) qui ne feraient « pas état d’une charge de travail excessive. Aucun relevé horaire n’existe. Il n’est par conséquent pas possible de faire état d’éventuelles heures supplémentaires ». On appréciera au passage également l’utilisation du masculin générique employé pour désigner un corps professionnel constitué en grande majorité, si ce n’est essentiellement par des femmes, à savoir les secrétaires. Bref, si l’Enquête sur le temps de travail (ETT) menée en 2019 par le SER et LCH a conclu que les enseignant·es de l’école primaire genevoise effectuent en moyenne 10 % d’heures supplémentaires par année, soit autant que les directions d’établissement, la SPG déplore que la DGEO et le DIP n’aient jamais cherché à le confirmer et ce, peut-être afin de pouvoir continuer à affirmer, la conscience tranquille, plus ou moins ouvertement à tous les niveaux « que tous les enseignant·es n’effectuent pas leurs 1800 heures » et qu’iels ne parviennent pas à démontrer l’augmentation de leur charge de travail, tout comme les SEC visiblement, mais contrairement aux DIR-E.
Analyse de la dotation des établissements | partie 3
Troisième partie
En cette fin du mois de mai, je poursuis ici l’analyse du rapport commandé par la DGEO, encore sous la législature d’Anne Emery Torracinta, pour faire face aux difficultés de gouvernance des établissements du primaire. Dans le billet précédent 1, j’ai présenté les postulats sur lesquels il repose et j’ai démontré que la neutralité d’au moins un de ses rédacteurs, tant au niveau des analyses produites que de leurs recommandations, n’était malheureusement pas établie. Cette troisième partie traitera plus particulièrement de l’analyse de la dotation des établissements de l’école primaire et des recommandations des experts à cet égard.
Ainsi, le rapport constate que les établissements primaires genevois sont sous-dotés en équipe de direction et en secrétariat comparé aux cantons de Bâle-Ville et de Vaud qui disposent, en moyenne, d’une dotation supérieure de 21,66 % – et considère, afin de « décharger les directrices et les directeurs », pour une dotation d’un équivalent plein-temps par direction d’établissement inchangée, que « la dotation en MA devrait idéalement être augmentée de 50,25 %, celle des CP de 51,51 % et celle des secrétaires de 4,38 % ». Si la SPG ne peut que partager le constat, la conclusion en revanche ébaubit et ne peut se comprendre qu’au regard de l’angle choisi, à savoir le pilotage des établissements. Elle ne fait que mettre en exergue le biais d’analyse qui constitue justement toute la problématique du mandat confié par la DGEO à ces « experts ». En effet, le travail que les secrétaires ne parviennent plus à réaliser à cause des heures supplémentaires qu’elles ne peuvent démontrer, puisque leur horaire est annualisé comme celui des enseignant·es, se reporte sur l’équipe enseignante et non sur l’équipe de direction. Ainsi, il y a fort à parier que si la DGEO s’était souciée de la charge de travail des enseignant·es, les recommandations d’augmentation de dotation auraient été bien différentes. Quoi qu’il en soit, si les enseignant·es avaient été interrogé·es quant à leurs besoins d’augmentation de dotation, les MA auraient proportionnellement été beaucoup moins évoqués que les différent·es représentant·es du personnel PAT qui travaillent dans les établissements, à savoir les secrétaires, les infirmières scolaires ou encore les éducateurices. Cet exemple illustre à lui seul la parfaire déconnexion de la production de ce rapport avec la réalité et les besoins du terrain. De plus, bien que ce dernier recommande une augmentation presque imperceptible de la dotation du secrétariat (SEC), contrairement à la dotation MA qui devrait quant à elle être doublée, il considère qu’« un certain nombre de tâches strictement administratives assumées le plus souvent par les MA devraient toutefois être transférées aux secrétaires, notamment la comptabilité ». Ainsi, non seulement la charge de travail réelle des secrétaires n’est nullement prise en considération, mais elle devrait encore être augmentée.
Aussi, après avoir constaté, ce que la SPG dénonce depuis des années, à savoir que « le modèle actuel se caractérise par une sous-dotation chronique et une articulation insuffisante entre des fonctions clés complémentaires », le rapport formule « une proposition souple répartie entre deux axes possibles de développement » :
- Le réinvestissement mise sur un statu quo au niveau du nombre d’établissements et sur une augmentation budgétaire pour financer les ajustements indispensables au bon fonctionnement.
- Le redéploiement mise sur un statu quo budgétaire, sur une réduction du nombre d’établissements (de 59 à 49) et sur la redistribution des ressources financières consécutive à la réduction du nombre d’établissements. Le nombre moyen d’élèves par établissement passerait de 662 (avec 59 établissements) à 797 (avec 49 établissements). Le nombre moyen d’élèves par école (formant les établissements) demeurerait constant à 233.
Si, comme déjà évoqué, le scénario du réinvestissement laisse sceptique quant aux augmentations de dotations préconisées, celui du « redéploiement » constitue tout simplement une aberration. Alors que tous les établissements genevois dépassent largement les 500 élèves, le rapport mentionne, sans craindre de se contredire, les constats présentés dans le cadre d’une méta-analyses réalisée par Leithwood et Jantzi (2009) d’une part, et par Slate et Jones (2005) d’autre part :
- Majoritairement, les petits établissements sont plus efficaces pour favoriser les résultats des élèves, mais également d’autres variables (comme le taux de présence) ;
- Les petits établissements permettent d’améliorer les résultats des élèves provenant de milieux défavorisés sans pour autant péjorer les résultats des élèves provenant de milieux plus favorisés ;
- Pour les établissements accueillant des populations défavorisées, la taille de l’établissement devrait être limitée à 300 élèves ;
- Pour les établissements accueillant des populations hétérogènes ou favorisées, la taille de l’établissement ne devrait pas aller au-delà de 500 élèves.
Ne serait-ce que sur le plan théorique, il est tout simplement indécent de préconiser ainsi l’augmentation des établissements afin qu’ils comportent en moyenne 800 élèves, alors même que plusieurs dizaines d’études empiriques menées depuis les années 90 constatent que les établissements de petite taille impactent positivement les résultats des élèves.
Par ailleurs, le rapport constate que les établissements multisites sont désormais la norme dans trois cantons sur quatre (Genève, Bâle-Ville et Vaud) et conclut une fois de plus, sans la moindre remise en question, que « la gouvernance des établissements primaires doit par conséquent s’adapter à cette réalité ». Toutefois, la gestion de ces établissements multisites induit une complexité qu’il faudrait analyser et questionner. Une norme délétère et néfaste ne doit pas être érigée en règle, mais devrait peut-être au contraire être modifiée et adaptée.
À ce titre, le professeur en sciences de l’éducation Philippe Meirieu et le psychiatre Antoine Devos s’interrogent, dans une tribune publiée dans Libération du 29 septembre et republiée par l’Educateur en novembre 2023, au sujet du gigantisme croissant des établissements au nom d’une « économie d’échelle » : « Comment ne pas constater que nos écoles, collèges, lycées deviennent de plus en plus de grosses machines anonymes où tout collectif « échelle humaine » est impossible à faire vivre ? » Ils ajoutent : « Voilà déjà de nombreuses années que les expériences des microcollèges et microlycées (y compris à l’intérieur d’établissements plus vastes ou quand on divise ceux-ci en plus petites structures) montrent à quel point, quand un groupe d’une centaine d’élèves est confié à une équipe de professeur·es qui se connaissent et qui les connaissent, les relations deviennent plus pacifiques et l’investissement dans les apprentissages s’en trouve amélioré. » Bien sûr, l’article porte plus spécifiquement sur la question de la lutte contre les violences scolaires, néanmoins cette observation n’en est pas moins corroborée par l’expérience empirique des enseignant·es genevois·es, vécue notamment lors de la reprise en classes partielles après le semi-confinement. De nombreux témoignages de collègues à qui les autorités n’ont jamais donné la parole ont pourtant rapporté unanimement l’apaisement constaté tant dans les classes que dans les espaces de vie commun, tels que la cour de récréation ou les couloirs.
Si l’ancienne conseillère d’État a affirmé à plusieurs reprises qu’il revenait au même de gérer un établissement de 700 élèves ou un établissement de 1000 élèves, la SPG considère au contraire que nombreuses sont les difficultés (partage des locaux avec le parascolaire et autres partenaires, effectifs de classe élevés, fermeture des ateliers du livre ou des locaux ECSP) rencontrées aujourd’hui dans les écoles primaires genevoises liées à la taille de plus en plus considérable de ces établissements. D’ailleurs, contrairement à ce qu’ânonne sans vergogne le rapport, le système actuel est contesté et n’a pas « indéniablement profité au système scolaire cantonal ». En effet, la SPG considère qu’il a non seulement largement contribué à déprofessionnaliser les enseignant·es, mais également à augmenter la charge administrative contrairement à ce qui avait été promis. Il parait ainsi aberrant de reproduire un scénario à plus large échelle qui n’a pas fait ses preuves et d’en espérer de meilleurs résultats. Certes, le fait de confier un rôle hiérarchique aux MA est présenté comme une manière de réintroduire une hiérarchie de proximité : « Idéalement, chaque école devrait disposer d’une dotation permettant d’assurer une direction de proximité, devenant ainsi une unité de gestion au sein de son établissement de tutelle. » Ainsi, à défaut des directions d’établissement de proximité, les experts proposent de retrouver des structures à tailles humaines en ajoutant une fonction hiérarchique, mais en agrandissant les établissements ou, dans le meilleur des cas, en maintenant telle quelle une structure déficiente. Or, loin de répondre aux enjeux actuels, ces scénarios renforceraient au contraire un système déjà déficient en y ajoutant davantage de verticalité. Cette nouvelle réduction de la délégation d’autorité des enseignant·es ne ferait en effet que les déresponsabiliser et donc les déprofessionnaliser davantage, alors même qu’une école inclusive a besoin au contraire de professionnel·les fort·es et responsables dans les classes, face aux besoins des élèves.
Ou comment ne pas inclure l’école inclusive … | partie 4
Pour cette fin d’année scolaire, je poursuis l’analyse du rapport commandé par la DGEO, encore sous la législature d’Anne Emery Torracinta, pour faire face aux difficultés de gouvernance des établissements du primaire. Dans le précédent billet, j’ai traité principalement de la dotation des établissements et présenté les biais qui conduisent MM. Huguenin et Maradan à recommander une forte majoration (plus de 50 %) des dotations des maitre·sses adjoint·es (MA) et des coordinateurices pédagogiques (CP) tout en n’augmentant que de 4,38 % celle des secrétaires d’établissement (SEC). En polarisant leur analyse sur la gouvernance des établissements, ils ont fini par perdre de vue la mission de l’école qui consiste à offrir un espace où un enseignement est dispensé à des élèves par des enseignant·es.
Ou comment ne pas inclure l’école inclusive …
Ce rapport réussit en effet l’incroyable prodige de penser à la fois l’école rêvée de notre ancienne conseillère d’État, une école sans élèves, et l’école rêvée de notre nouvelle conseillère d’État, une école sans élèves à besoins spécifiques. Cinquante-quatre pages où l’expression « école inclusive » n’apparait qu’une seule fois dans le condensé (résumé introductif). Alors même qu’il pourrait expliquer une « charge de travail des directrices et directeurs ( … )conséquente, excessive ( … ), dense et en augmentation », à aucun moment n’est interrogé le rôle des directions d’établissement (DIR-E) dans son déploiement ou sa mise en œuvre. D’ailleurs, bien que soient déployé·es des enseignant·es spécialisé·es et des éducateurices en milieu régulier depuis plusieurs années dans les écoles primaires genevoises, l’office médico-pédagogique (OMP), leur employeur, n’est mentionné qu’une fois dans la bibliographie. Dans la perspective d’une révision du cahier des charges des MA, les experts proposent d’inclure « la gestion pédagogique à l’intérieur de son école et avec les intervenants externes ». Il faut espérer que le personnel de l’OMP est inclus dans cette épithète que le rapport ne définit pas, mais si tel est bien le cas, il s’agit de la seule occurrence. Ainsi, il n’est pas intempérant d’énoncer que la question de l’école inclusive, mais plus globalement celle de l’enseignement spécialisé en milieu régulier, sont ici pleinement occultées. Cet impensé suffit probablement à disqualifier l’ensemble du rapport à et invalider tant ses analyses que ses propositions d’optimisation. Comment peut-on en effet penser la gouvernance des établissements et son évolution sans évoquer ne serait-ce qu’une seule fois l’école inclusive et les professionnel·les du terrain qui œuvrent au quotidien pour la réaliser ?
Hiérarchiser au lieu de professionnaliser ?
Cette omission est d’autant plus grave que la pluriprofessionnalité, bien qu’appelée à évoluer, apparait comme l’enjeu majeur de l’école actuelle. Si elle doit en effet être questionnée, il pourrait relever de la gouvernance des établissements de l’encadrer à moyen terme. D’ailleurs dans l’Éclairages numéro 4 publié par le SRED en novembre 2023 sur la pluriprofessionnalité dans les écoles genevoises, les chercheuses relèvent déjà que « Pour l’UNESCO (2020), il est aujourd’hui dépassé de vouloir former différents types d’enseignantes et d’enseignants pour différents types d’élèves et ce, dans des structures séparées ». Effectivement, « les enseignantes et enseignants ont besoin d’une formation de qualité qui englobe une multitude d’aspects qui relèvent d’un enseignement inclusif (techniques pédagogiques, gestion de classe, méthodes d’évaluation de l’apprentissage, etc.) ». En outre, « lorsque l’on observe les recherches menées auprès de pays qui ont adopté une politique d’éducation inclusive du type « one-track approach » (trajectoire unique), où les pratiques et politiques sont orientées vers l’inclusion de presque tous·tes les élèves dans l’école régulière (Prets & Weber, 2005), la question de la formation est davantage au cœur des préoccupations que celle de la collaboration et de la pluriprofessionnalité 1 ». Or, le rapport ne traite ni de la collaboration, ni de la formation ou dans une mesure très superficielle.
Que l’on se rassure néanmoins, les deux axes d’amélioration (présentés dans le billet précédent) « ambitionnent pareillement de renforcer et de davantage professionnaliser les fonctions clés et les instruments de gestion, mais également de redonner une autonomie relative et des marges de manœuvre afin de stimuler les dynamiques locales, collégiales et managériales ». Nonobstant, au regard de l’analyse et des conclusions du rapport, il apparait que l’enseignant·e n’est pas identifié·e comme une fonction clé qu’il s’agirait de renforcer et professionnaliser. Une institution qui favorise le pilotage des établissements au détriment de la formation et la professionnalisation des enseignant·es se contente d’une vision techniciste et administrative de l’école où celleux à qui elle est destinée, les élèves, et celleux dont la profession consiste à les former, sont à peine évoqué·es.
Les CP, une ressource indéfinissable à l’avenir déterminé ?
Pour rester dans la thématique de la formation, si le rapport recommande de doubler la dotation MA, qui « devrait évoluer vers une véritable fonction d’adjoint de direction (AdD), incluant l’exercice d’une relation fonctionnelle d’autorité à l’intérieur de l’école concernée (site satellite) », il recommande également de doubler celle des CP sans néanmoins jamais concrètement expliquer ni pourquoi, ni comment. Par ailleurs, s’il indique que les CP constituent un profil hétérogène, il ne le définit jamais. Selon le rapport, les DIR-E relèvent que la dotation en CP-E est insuffisante et ce manque de ressources provoquerait un report de charges sur les DIR-E. La différence intrinsèque entre le cahier des charges respectif de ces deux fonctions ne permet de comprendre cette remarque qu’à travers l’identification d’un nouveau biais de raisonnement. J’émets en effet ici l’hypothèse que l’agrandissement progressif des établissements, l’atomisation de leur propre cahier des charges et le manque de dotation SEC conduisent les DIR-E à s’approprier la ressource CP, au risque de la détourner de sa fonction première qui est d’accompagner les enseignant·es dans leur développement professionnel en fonction de leurs besoins.
Questions de taux
Si la SPG peut rejoindre le constat que « le rattachement de facto à deux supérieurs hiérarchiques empêche un exercice efficace de leur fonction », comme elle l’a d’ailleurs affirmé lorsqu’elle s’est opposée au rattachement hiérarchique des CP aux DIR-E, il est difficile de comprendre ce qui conduit les experts à préconiser une dotation de CP de 40 % par établissement. En effet, un·e CP ne pourrait visiblement travailler plus qu’à 80 %. Ainsi, la fonction serait « plafonnée » à un taux d’activité de 40 % pour les CP qui ne travailleraient que dans un seul établissement et à 80% pour celleux qui travailleraient dans deux établissements. Le rapport poursuit en indiquant « actuellement, 23 personnes se répartissent les 19,47 postes EPT. Sur ces 23 personnes, neuf ont d’ores et déjà un taux de travail égal ou inférieur à 80 %. Une période transitoire pourrait permettre aux 14 autres CP-E au bénéfice actuellement d’un taux de 90 % ou de 100 % d’ajuster leur temps de travail de manière volontaire. Le remplacement ( à la suite de fluctuations naturelles ) des CP-E souhaitant conserver leur taux de travail à 90 ou à 100 % par de nouveaux collaborateurs pédagogiques à 80 % permettrait d’atteindre, à terme, l’objectif d’un taux moyen de 80 % ». Alors même que le rapport milite pour une autonomisation des établissements, comment comprendre des préconisations aussi micro ? En outre, le rapport se targue que neuf CP travaillent déjà à un taux égal ou inférieur à 80 %, mais en l’occurrence, cela signifie surtout que la majorité d’entre elleux travaillent à un taux supérieur. Par ailleurs, qu’en est-il du temps de travail collectif des CP qui constitue l’identité même de cette fonction ? Et les CP qui souhaiteraient toutefois maintenir un taux de travail de 100 %, devront-ils le combler en acceptant des mandats au SEE ? Si l’impact direct de l’application de ces recommandations semble moins évident pour le corps enseignant que celui d’une éventuelle évolution vers une relation fonctionnelle d’autorité des MA, il serait néanmoins imprudent de le sous-estimer. En effet, le niveau de granularité de ces recommandations qui relève davantage de la gestion RH, dans un document où les fonctions et les rôles ne sont définis que de manière évasive en s’appuyant principalement sur les observations forcément biaisées des DIR-E, donne probablement des indications relativement précises sur les perspectives d’évolution de la fonction de CP souhaitées par la DGEO.
Une fonction particulièrement malmenée
Pourtant, contrairement à la dotation MA qu’il semble ridicule de doubler, il pourrait être intéressant d’augmenter la dotation CP, non pour décharger les DIR-E, mais pour renforcer et professionnaliser les principaux acteurs et actrices d’une école, n’en déplaise à la DGEO, les enseignant·es. En revanche, pour ce faire, il faudra que le département, qui semble vouloir l’étendre à l’OMP, fournisse un sérieux effort pour rendre plus attractive cette fonction particulièrement malmenée ces dernières années, notamment par son rattachement hiérarchique aux DIR-E et le démantèlement du service de formation. Malheureusement, au lieu de professionnaliser les CP pour les renforcer dans leur fonction, le rapport, dans la perspective purement quantitative qui est la sienne, recommande d’augmenter leur dotation sans les former sérieusement, au risque de péjorer encore davantage leurs conditions de travail.
Gouverner sans questionner | partie 5
Cinquième et dernière partie
Pour égayer la fin de l’été, je poursuis et conclus enfin l’analyse du rapport commandé par la DGEO, encore sous la législature d’Anne Emery Torracinta, pour faire face aux difficultés de gouvernance des établissements du primaire. Dans le billet du mois de juin, j’ai présenté le très grave impensé de l’analyse, à savoir, rien de moins que l’école inclusive et les recommandations du rapport à l’égard de l’évolution de la fonction de coordinateurs et coordinatrices pédagogiques (CP).
Gouverner sans questionner
En somme, les entrées de ce rapport questionnent tant au niveau des comparaisons cantonales retenues, sans qu’elles ne soient jamais clairement objectivées ou explicitées, que sur le focus global. Par rapport à la gouvernance des établissements, aucune vision intra Genève n’est présentée. Il existe pourtant une forte disparité dans les pratiques des DIR-E qui ne sont jamais interrogées et qui entrainent une grande variabilité dans la gestion même des établissements. Malgré cette forte diversité, le rapport tient pour acquis que les directions d’établissement effectuent en moyenne 200 heures supplémentaires par année, sans jamais préciser à quoi serait due cette surcharge de travail. Comment proposer l’introduction d’un nouveau cahier des charges sans présenter la nature même du travail qui doit être effectué ? Comment peut-on rédiger un rapport sur la gouvernance des établissements sans jamais questionner l’organisation de travail des directions ?
Quels sont les besoins de l’école ?
Au même titre que les pratiques des directions, leur formation n’est jamais questionnée, elle est au contraire encensée puisque le rapport affirme que l’organisation et le fonctionnement actuels des directions d’établissements primaires formées par la FORDIF, dont M. Huguenin est l’un des membres fondateurs, aurait « indéniablement profité au système scolaire cantonal ». En tenant pour acquis que la FORDIF a formé des cadres compétents, le rapport considère de facto que les difficultés liées à la gouvernance des établissements ne se situe pas au niveau des directions. Ainsi, il ne remet en question ni le fonctionnement actuel, ni la formation et ce, sans présenter la moindre analyse de la situation ou démontrer d’une quelconque manière en quoi l’introduction des DIR-E aurait profité à l’école genevoise. Par ailleurs, comme l’indique clairement le rapport lui-même, le seul élément concret sur lequel il appuie la variante maximale de l’axe « réinvestissement », qui prévoit une augmentation globale de la dotation EPT de 19,78 %, est la comparaison intercantonale et non la charge de travail ou les besoins effectifs des écoles genevoises : « sans que cela ait constitué un but avéré pour les mandataires, il s’avère que ce renforcement s’inscrit dans l’écart de dotation moyen de 21,66 % identifié entre le canton de Genève et ceux de Bâle-Ville et Vaud. »
Chassez le doyen, il revient au galop !
Enfin, le rapport prétend « ne pas viser une analogie des catégories professionnelles et des modes de gestion entre les établissements primaires et les cycles d’orientation, mais prendre toujours en compte et compenser concrètement la complexité supplémentaire qu’occasionne l’organisation multisite ». Pourtant, les diverses propositions d’amélioration présentées ne tiennent compte ni des spécificités genevoises, ni des spécificités de l’école primaire. En effet, sur le plan budgétaire, il se contente de baser sa proposition d’augmentation de dotation sans la documenter en la calquant simplement sur le modèle vaudois et sur le plan organisationnel, il se contente de transposer le système du CO au primaire en introduisant une fonction complètement déconnectée de la réalité du primaire et qui ressemble singulièrement à celle des doyen·nes.
Des directions naviguant à vue
S’il est effectivement nécessaire de renforcer les directions, ainsi que la dotation et l’autonomie des établissements, il parait insensé de penser obtenir ce résultat en ajoutant une nouvelle fonction hiérarchique. C’est là qu’apparait le plus fortement le défaut d’analyse du rapport qui n’a jamais défini le profil des directions d’établissement, leur charge de travail effective et la surcharge dont elles font état sans la démontrer. Il est donc difficile de savoir en quoi ces directions doivent être renforcées et comment. En revanche, l’ajout de strates hiérarchiques tend non seulement à déresponsabiliser les acteurs et les actrices, mais n’a jamais réduit la charge de travail. Le fait que le rapport propose de former les MA à la FORDIF suffit à disqualifier le peu d’analyses qu’il produit, le parti pris étant trop évident. Ce rapport ne traite en aucune manière des difficultés réelles du terrain. Il n’est pas question ici d’école, mais uniquement de management par des enseignant·es formé·es par l’un de ses auteurs. Il est regrettable que le DIP n’ait pas encore saisi ce que la littérature scientifique commence à démontrer, à savoir que le personnel inclusif, dans une école que l’on souhaite inclusive, aussi étonnant que cela puisse paraitre, ne peut être que l’enseignant·e. Aujourd’hui, à l’école genevoise, la pluriprofessionnalité, dont le rapport ne fait même pas état, constitue le quotidien. Malheureusement, les équipes pluri-professionnelles renforcent le sentiment que certaines situations ne relèvent pas de la responsabilité des titulaires. Or, s’il n’est pas inintéressant de confronter les regards et de bénéficier de l’apport de différentes fonctions dans les écoles, les recherches démontrent que l’expertise de l’inclusion doit être portée par l’enseignant·e. S’il n’est pas toujours aisé de porter sa part de responsabilité, elle contribue grandement à la professionnalisation et à la construction du sens.
Une école sans élèves et sans enseignant·es
Ainsi, la DGEO parvient à travers ce rapport à penser une école sans élèves et sans enseignant·es en se focalisant essentiellement sur leur mode de gouvernance, s’attelant à détruire le peu d’horizontalité qui en garantit la professionnalisation de ses principaux acteurices, à savoir, ne lui en déplaise, les enseignant·es. S’il n’est pas question de nier le manque de ressources PAT (personnel administratif et technique) allouées aux établissements primaires (secrétariat, infirmière scolaire, éducateur·trices) que la SPG déplore uniment, seule une posture particulièrement biaisée, totalement déconnectée de la réalité des classes, peut imaginer répondre à ces difficultés en agrandissant sans cesse les établissements et en ajoutant un nouvel échelon hiérarchique. Faut-il rappeler que l’introduction des directions d’établissement devait diminuer la charge administrative ? Personne n’oserait prétendre aujourd’hui que ce vœu pieux a été réalisé, pourtant la DGEO prétend aujourd’hui répondre aux difficultés de l’école primaire en reproduisant un schéma qui s’est révélé inopérant. Il était parfaitement improbable, mais malheureusement si peu étonnant, que la solution proposée stabilise la situation actuelle en renforçant ce qui justement la rend dysfonctionnelle. La problématique est particulièrement exacerbée à Genève, ce petit canton où tous les acteurs sont juges et parties et où tout est centralisé à la DGEO qui tend à penser à la place des enseignant·es et ce, à un niveau de plus en plus micro. Il n’est pas étonnant dans ce contexte que les professionnel·les soient complètement exclu·es de toute réflexion autour de leur pratique. Il n’y a probablement que le DIP qui, pour répondre aux difficultés rencontrées actuellement dans les classes par les enseignant·es, pense à renforcer les modes de gouvernances avant d’outiller davantage les enseignant·es. Quel mépris faut-il avoir pour le corps enseignant et surtout à quel point faut-il être déconnecté de ses besoins et ses pratiques ? Quelle foi accorder aux conclusions complètement télécommandées dudit rapport, auxquelles ont été consacrés tant de temps et d’énergie, avant d’aborder les vraies problématiques rencontrées par les vrai·es enseignant·es dans les vraies classes, face aux difficultés et aux souffrances de vrai·es élèves. Si les conclusions du rapport n’apportent en réalité aucun élément nouveau, elles ne montrent qu’une fois de plus le dédain et le manque de considération des mandataires, à savoir la DGEO et le DIP, pour les enseignant·es de l’école primaire, qui continuent à affronter seul·es les situations auxquelles iels sont exposé·es au nom de prestations que le DIP prétend fournir sans se donner les moyens d’en obtenir les budgets.
Tous ces billets de la présidence sont parus dans l’Educateur de février à septembre 2024.
Retrouvez également la résolution adoptée à l’Assemblée des délégué·es de la SPG du 18.03.24 sur ce sujet :