Pour cette fin d’année scolaire, je poursuis l’analyse du rapport commandé par la DGEO, encore sous la législature d’Anne Emery Torracinta, pour faire face aux difficultés de gouvernance des établissements du primaire. Dans le précédent billet, j’ai traité principalement de la dotation des établissements et présenté les biais qui conduisent MM. Huguenin et Maradan à recommander une forte majoration (plus de 50 %) des dotations des maitre·sses adjoint·es (MA) et des coordinateurices pédagogiques (CP) tout en n’augmentant que de 4,38 % celle des secrétaires d’établissement (SEC). En polarisant leur analyse sur la gouvernance des établissements, ils ont fini par perdre de vue la mission de l’école qui consiste à offrir un espace où un enseignement est dispensé à des élèves par des enseignant·es.
Ou comment ne pas inclure l’école inclusive …
Ce rapport réussit en effet l’incroyable prodige de penser à la fois l’école rêvée de notre ancienne conseillère d’État, une école sans élèves, et l’école rêvée de notre nouvelle conseillère d’État, une école sans élèves à besoins spécifiques. Cinquante-quatre pages où l’expression « école inclusive » n’apparait qu’une seule fois dans le condensé (résumé introductif). Alors même qu’il pourrait expliquer une « charge de travail des directrices et directeurs ( … )conséquente, excessive ( … ), dense et en augmentation », à aucun moment n’est interrogé le rôle des directions d’établissement (DIR-E) dans son déploiement ou sa mise en œuvre. D’ailleurs, bien que soient déployé·es des enseignant·es spécialisé·es et des éducateurices en milieu régulier depuis plusieurs années dans les écoles primaires genevoises, l’office médico-pédagogique (OMP), leur employeur, n’est mentionné qu’une fois dans la bibliographie. Dans la perspective d’une révision du cahier des charges des MA, les experts proposent d’inclure « la gestion pédagogique à l’intérieur de son école et avec les intervenants externes ». Il faut espérer que le personnel de l’OMP est inclus dans cette épithète que le rapport ne définit pas, mais si tel est bien le cas, il s’agit de la seule occurrence. Ainsi, il n’est pas intempérant d’énoncer que la question de l’école inclusive, mais plus globalement celle de l’enseignement spécialisé en milieu régulier, sont ici pleinement occultées. Cet impensé suffit probablement à disqualifier l’ensemble du rapport à et invalider tant ses analyses que ses propositions d’optimisation. Comment peut-on en effet penser la gouvernance des établissements et son évolution sans évoquer ne serait-ce qu’une seule fois l’école inclusive et les professionnel·les du terrain qui œuvrent au quotidien pour la réaliser ?
Hiérarchiser au lieu de professionnaliser ?
Cette omission est d’autant plus grave que la pluriprofessionnalité, bien qu’appelée à évoluer, apparait comme l’enjeu majeur de l’école actuelle. Si elle doit en effet être questionnée, il pourrait relever de la gouvernance des établissements de l’encadrer à moyen terme. D’ailleurs dans l’Éclairages numéro 4 publié par le SRED en novembre 2023 sur la pluriprofessionnalité dans les écoles genevoises, les chercheuses relèvent déjà que « Pour l’UNESCO (2020), il est aujourd’hui dépassé de vouloir former différents types d’enseignantes et d’enseignants pour différents types d’élèves et ce, dans des structures séparées ». Effectivement, « les enseignantes et enseignants ont besoin d’une formation de qualité qui englobe une multitude d’aspects qui relèvent d’un enseignement inclusif (techniques pédagogiques, gestion de classe, méthodes d’évaluation de l’apprentissage, etc.) ». En outre, « lorsque l’on observe les recherches menées auprès de pays qui ont adopté une politique d’éducation inclusive du type « one-track approach » (trajectoire unique), où les pratiques et politiques sont orientées vers l’inclusion de presque tous·tes les élèves dans l’école régulière (Prets & Weber, 2005), la question de la formation est davantage au cœur des préoccupations que celle de la collaboration et de la pluriprofessionnalité 1 ». Or, le rapport ne traite ni de la collaboration, ni de la formation ou dans une mesure très superficielle.
Que l’on se rassure néanmoins, les deux axes d’amélioration (présentés dans le billet précédent) « ambitionnent pareillement de renforcer et de davantage professionnaliser les fonctions clés et les instruments de gestion, mais également de redonner une autonomie relative et des marges de manœuvre afin de stimuler les dynamiques locales, collégiales et managériales ». Nonobstant, au regard de l’analyse et des conclusions du rapport, il apparait que l’enseignant·e n’est pas identifié·e comme une fonction clé qu’il s’agirait de renforcer et professionnaliser. Une institution qui favorise le pilotage des établissements au détriment de la formation et la professionnalisation des enseignant·es se contente d’une vision techniciste et administrative de l’école où celleux à qui elle est destinée, les élèves, et celleux dont la profession consiste à les former, sont à peine évoqué·es.
Les CP, une ressource indéfinissable à l’avenir déterminé ?
Pour rester dans la thématique de la formation, si le rapport recommande de doubler la dotation MA, qui « devrait évoluer vers une véritable fonction d’adjoint de direction (AdD), incluant l’exercice d’une relation fonctionnelle d’autorité à l’intérieur de l’école concernée (site satellite) », il recommande également de doubler celle des CP sans néanmoins jamais concrètement expliquer ni pourquoi, ni comment. Par ailleurs, s’il indique que les CP constituent un profil hétérogène, il ne le définit jamais. Selon le rapport, les DIR-E relèvent que la dotation en CP-E est insuffisante et ce manque de ressources provoquerait un report de charges sur les DIR-E. La différence intrinsèque entre le cahier des charges respectif de ces deux fonctions ne permet de comprendre cette remarque qu’à travers l’identification d’un nouveau biais de raisonnement. J’émets en effet ici l’hypothèse que l’agrandissement progressif des établissements, l’atomisation de leur propre cahier des charges et le manque de dotation SEC conduisent les DIR-E à s’approprier la ressource CP, au risque de la détourner de sa fonction première qui est d’accompagner les enseignant·es dans leur développement professionnel en fonction de leurs besoins.
Questions de taux
Si la SPG peut rejoindre le constat que « le rattachement de facto à deux supérieurs hiérarchiques empêche un exercice efficace de leur fonction », comme elle l’a d’ailleurs affirmé lorsqu’elle s’est opposée au rattachement hiérarchique des CP aux DIR-E, il est difficile de comprendre ce qui conduit les experts à préconiser une dotation de CP de 40 % par établissement. En effet, un·e CP ne pourrait visiblement travailler plus qu’à 80 %. Ainsi, la fonction serait « plafonnée » à un taux d’activité de 40 % pour les CP qui ne travailleraient que dans un seul établissement et à 80% pour celleux qui travailleraient dans deux établissements. Le rapport poursuit en indiquant « actuellement, 23 personnes se répartissent les 19,47 postes EPT. Sur ces 23 personnes, neuf ont d’ores et déjà un taux de travail égal ou inférieur à 80 %. Une période transitoire pourrait permettre aux 14 autres CP-E au bénéfice actuellement d’un taux de 90 % ou de 100 % d’ajuster leur temps de travail de manière volontaire. Le remplacement ( à la suite de fluctuations naturelles ) des CP-E souhaitant conserver leur taux de travail à 90 ou à 100 % par de nouveaux collaborateurs pédagogiques à 80 % permettrait d’atteindre, à terme, l’objectif d’un taux moyen de 80 % ». Alors même que le rapport milite pour une autonomisation des établissements, comment comprendre des préconisations aussi micro ? En outre, le rapport se targue que neuf CP travaillent déjà à un taux égal ou inférieur à 80 %, mais en l’occurrence, cela signifie surtout que la majorité d’entre elleux travaillent à un taux supérieur. Par ailleurs, qu’en est-il du temps de travail collectif des CP qui constitue l’identité même de cette fonction ? Et les CP qui souhaiteraient toutefois maintenir un taux de travail de 100 %, devront-ils le combler en acceptant des mandats au SEE ? Si l’impact direct de l’application de ces recommandations semble moins évident pour le corps enseignant que celui d’une éventuelle évolution vers une relation fonctionnelle d’autorité des MA, il serait néanmoins imprudent de le sous-estimer. En effet, le niveau de granularité de ces recommandations qui relève davantage de la gestion RH, dans un document où les fonctions et les rôles ne sont définis que de manière évasive en s’appuyant principalement sur les observations forcément biaisées des DIR-E, donne probablement des indications relativement précises sur les perspectives d’évolution de la fonction de CP souhaitées par la DGEO.
Une fonction particulièrement malmenée
Pourtant, contrairement à la dotation MA qu’il semble ridicule de doubler, il pourrait être intéressant d’augmenter la dotation CP, non pour décharger les DIR-E, mais pour renforcer et professionnaliser les principaux acteurs et actrices d’une école, n’en déplaise à la DGEO, les enseignant·es. En revanche, pour ce faire, il faudra que le département, qui semble vouloir l’étendre à l’OMP, fournisse un sérieux effort pour rendre plus attractive cette fonction particulièrement malmenée ces dernières années, notamment par son rattachement hiérarchique aux DIR-E et le démantèlement du service de formation. Malheureusement, au lieu de professionnaliser les CP pour les renforcer dans leur fonction, le rapport, dans la perspective purement quantitative qui est la sienne, recommande d’augmenter leur dotation sans les former sérieusement, au risque de péjorer encore davantage leurs conditions de travail.
1. Anna et al., 2008 ; Unesco, 2020 ; Covelli & de Anna, 2020.
Francesca Marchesini, présidente de la SPG
Paru dans l’Éducateur, juin 2024