Véritable serpent de mer, la question de l’horaire revient inlassablement et depuis des lustres sur la table des discussions entre la direction générale de l’Office médico-pédagogique (DGOMP) et les partenaires sociaux. Quand ce ne sont pas les horaires des enseignant·es qui animent les débats, ce sont ceux des responsables pédagogiques (RP) et aujourd’hui des éducateurs et éducatrices.
Si la question des horaires des enseignant·es spécialisé·es souffre certes d’une différence d’interprétation, elle a l’avantage d’être inscrite dans un règlement et d’offrir une base de discussion claire. Le département cherche évidemment, sous prétexte d’harmoniser les horaires, à faire travailler davantage les enseignant·es de l’OMP, argüant que le temps des bus et des repas ne serait pas du temps face aux élèves, bien qu’il faille faire preuve d’une agilité mentale toute particulière ou d’une bonne dose de mauvaise foi pour oser l’affirmer. Toutefois, cette position déjà bancale devient de plus en plus difficile à soutenir dans un contexte de pénurie où les enseignant·es du spécialisé doivent désormais être titulaires d’un master, contrairement à leurs collègues du régulier qui sont pourtant colloqué·es dans la même classe salariale. Leur temps de préparation serait moins important que celui de leurs collègues du régulier et justifierait donc que leur temps présence élève soit augmenté. Une telle généralisation, qui n’a par ailleurs jamais été démontrée, relève tout simplement de l’absurde. Ce serait surtout oublier que le temps de travail collectif et celui consacré au suivi des élèves est beaucoup plus important dans l’enseignement spécialisé que dans le régulier. Toutefois, ces comparaisons n’ont pas lieu d’être, à moins que le département ne souhaite commencer à rémunérer les enseignant·es à l’heure. La SPG espère que même le DIP ne souhaite pas s’engouffrer dans cette voie sans issue. Elle a toujours défendu l’unicité du statut et admis que certaines différences entre les ordres d’enseignement ou même tout simplement d’une année à l’autre relèvent de la réalité du terrain et a en ce sens toujours refusé d’accorder le moindre crédit à ces considérations. De plus, il est, d’un point de vue humain, simplement inconcevable face à l’épuisement général exprimé à tous les niveaux de l’Office que le secrétariat général cherche à augmenter le temps de travail du personnel soi-disant dans une perspective d’harmonisation, animé, parait-il, par le seul souci de l’équité, mais plus vraisemblablement afin de s’assurer que le fonctionnaire n’escroque pas le contribuable et effectue bien ses 1800 heures. Lorsque des discussions sont amorcées, elles le sont systématiquement dans l’urgence et menées dans une précipitation qui rend de facto impossible une véritable consultation des partenaires. Si l’année dernière, il était visiblement urgent d’harmoniser le temps de décharge des RP, cette année, il serait impératif d’harmoniser l’horaire des éducateurs et éducatrices. L’urgence serait d’ailleurs telle qu’on ne se donne même plus la peine de faire semblant de consulter les partenaires et les syndicats dans le cadre d’un groupe de travail.
80 % is the new 100 %
En effet, la SPG a pris connaissance de la décision de la DGOMP d’imposer une nouvelle modalité d’horaire, historiquement contestée qui n’a jamais fait l’objet de discussions abouties avec les partenaires sociaux, à savoir qu’un éducateur social ou éducatrice sociale à l’OMP qui couvrirait l’ensemble du temps de présence de l’élève dans une CLI EP hétérogène ( Classe intégrée école primaire ) ne pourrait désormais plus prétendre à un taux d’activité de 100 %. La SPG s’oppose fermement à cette modification unilatérale des conditions de travail et la conteste formellement. Par voie de courriel, le directeur général a.i. indique qu’il en serait ainsi depuis l’introduction de cette fonction en 2019. Or la SPG a des exemples qui permettent de démontrer le contraire ou dans tous les cas qu’il ne s’agit pas d’une pratique généralisée. Pour la SPG, un horaire hebdomadaire de 27 h 30 en présence des élèves correspond pour l’instant à un taux d’activité de 100 %. Vouloir décréter que ce temps de travail ne correspondrait plus qu’à un 80% est simplement stupéfiant, non seulement par le manque de respect pour le personnel eu égard à la charge de travail que cela représente, mais aussi parce que, de facto, la personne concernée serait contrainte de travailler à temps partiel, empêchée de pouvoir exercer son métier à 100 %, ce qui semble peu admissible. Il parait par ailleurs particulièrement cocasse d’introduire une telle différence de traitement entre nouveaux et nouvelles engagé·es et le personnel déjà en poste au nom de l’équité. Par ailleurs, ces 27 h 30 qui correspondent aux 32 périodes de l’horaire de l’élève ( cycle moyen ) font déjà l’objet d’un compromis. En effet, en ce qui concerne le temps de travail en présence des élèves des éducateurs et éducatrices, la SPG a toujours défendu le fait qu’il soit le même que celui des enseignant·es spécialisé·es, soit 24 h en présence des élèves. D’ailleurs le rapport d’études Evaluanda de 2014, analysant la charge de travail des éducateurs sociaux et des éducatrices sociales de l’Office médico-pédagogique, avait démontré que leur temps de travail moyen annuel s’élevait à 2089 heures. Le discours se généralisant au sein du département depuis quelques années, visant à établir comme un fait qu’il soit impossible pour les éducateurs et éducatrices de faire leurs 1800 heures, parait sous cet angle particulièrement inique.
Rien ne sert de courir …
À ce jour, la seule référence qui permette d’établir l’horaire du personnel enseignant est l’article 7C du règlement B 5 10.04, actuellement en vigueur. Ce même article fait référence ( alinéa 2 ) à une directive qui doit encore être négociée avec les associations professionnelles. Par analogie, il apparait qu’aucun texte règlementaire ne définit à ce jour l’horaire des éducateurs et des éducatrices et qu’il doit donc faire l’objet d’une discussion avec les partenaires.
Alors qu’un audit du service d’audit interne ( SAI ) pointe précisément les dysfonctionnements des ressources humaines de l’OMP, il semble aberrant que celui-ci puisse persister dans une telle iniquité de traitement. La SPG dénonce donc non seulement fermement ce nouveau mode de calcul, mais également une méthode particulièrement contestable du fait accompli. Elle a demandé officiellement qu’un véritable groupe de travail soit enfin constitué afin d’aborder la question spécifique de l’horaire des éducateurs et des éducatrices dans le respect du partenariat social. Il va de soi que la SPG requiert également la suspension de toute décision à ce propos en attendant que le groupe de travail soit constitué et qu’un véritable accord entre les partenaires sociaux soit enfin trouvé.
Tous les chemins ne mènent peut-être pas à Rome
La DGOMP constate et admet enfin ce que la SPG dénonce depuis des années, i.e. des collègues en souffrance et un Office qui s’essouffle à fonctionner depuis trop longtemps sans les ressources nécessaires. Or, l’analyse des motifs de cette crise et les solutions pensées pour y répondre divergent. Si à l’instar du directeur général de l’enseignement obligatoire, Éric Stachelscheid, la SPG ne prétend pas détenir la baguette magique qui permettra de sauver l’OMP, elle imagine néanmoins sans peine que ce n’est pas en méprisant le partenariat social qu’on permettra à l’Office de surmonter les difficultés auxquelles il est confronté aujourd’hui, mais au contraire en impliquant le personnel de terrain, expert pédagogique et thérapeutique. Un véritable partenariat basé sur la confiance et le respect est assurément la condition sine qua non pour sortir de la crise. Il semble dans ce contexte paradoxal de clamer l’engagement remarquable du personnel tout en cherchant parallèlement à augmenter drastiquement le temps et la charge de travail de ce dernier. Alors que l’Office peine de plus en plus à recruter des enseignant·es spécialisé·es et des éducateurs et éducatrices, il semble complètement contreproductif et peu stratégique d’augmenter en premier lieu le temps de travail et donc de péjorer les conditions de travail du personnel. Le respect et la reconnaissance ne sont pas performatifs, il ne suffit pas d’énoncer ces principes pour qu’ils se réalisent. Il faut pour cela les traduire en actes. Ainsi, ce n’est peut-être que lorsqu’il reconnaitra véritablement l’engagement de ses collaborateurs et collaboratrices, que l’OMP pourra peut-être s’engager sur la voie de la guérison.
Francesca Marchesini, présidente de la SPG
Paru dans l’Éducateur, janvier 2023
Image générée avec Dall E